Recevoir les conseils et bénéficier des connaissances d’une écrivaine reconnue est un grand privilège que convoitent de nombreux écrivain.e.s en plein essor.
Heureusement pour les étudiant.e.s du Département des littératures de la langue, française, de traduction et de création (DLTC), au cours des prochains mois, ils/elles bénéficieront du mentorat et l’expérience de Chantal Ringuet, une écrivaine primée, poète et traductrice littéraire, qui se spécialise dans une démarche de recherche-création, qui l’a amenée à enseigner, à animer des ateliers de création et à publier une dizaine d’ouvrages de poésie, des essais culturels et historiques ainsi que des traductions.
Nous avons discuté avec Chantal de ses diverses responsabilités en tant qu’écrivaine en résidence du DLTC, de ses oeuvres littéraires et de l’importance du mentorat dans les activités créatives.
Q: Décrivez votre rôle en tant qu’écrivaine en résidence au Département des littératures de la langue française, de traduction et de création. Comment allez-vous collaborer avec les étudiants intéressés par la création ?
CR: Depuis janvier, j’ai le bonheur d’être écrivaine en résidence au DLTC. Mon rôle consiste à organiser des classes de maître sur des sujets littéraires (poésie, prose, traduction), à discuter avec les étudiant.e.s, à participer au colloque étudiant de l’ADELFIES et à superviser la Retraite d’été en création littéraire au DLTC. Cette Retraite d’été (6 mai au 7 juin) sera une formidable occasion d’échanger avec les étudiant.e.s sur leur projet en cours. En créant un espace d’ouverture et de dialogue propice à leur cheminement, je les inviterai à présenter leurs textes, à lire et à commenter les textes de leurs collègues, tout en leur prodiguant certains conseils. Les rapports entre création littéraire et traduction s’inscrivant au cœur de ma démarche, j’aimerais leur faire découvrir les liens intrinsèques unissant ces deux pratiques. Nous ferons aussi une ou deux sorties (au musée, par exemple) pour nous inspirer d’œuvres artistiques afin d’écrire. De plus, je les informerai de plusieurs aspects associés au métier d’écrivain : par exemple, la recherche et la documentation menant à un projet de création, le choix d’un éditeur, les demandes de bourse, les conditions socio-économiques des écrivains au Québec et au Canada, etc.
Q: Depuis plus de dix ans, vous poursuivez une démarche en recherche-création. Qu’est-ce que la “recherche-création” et qu’est-ce qui vous a attiré par ce domaine ?
CR: Il existe plusieurs définitions de ce qu’est la recherche-création et autant de manières de l’aborder. Dans le milieu de la recherche universitaire, la recherche-création est souvent définie par un flou entre deux pôles qui répondent à des exigences différentes. Il s’agit, en résumé, d’une tendance qui lie la pratique des arts aux sciences interprétatives et aux sciences pures afin de générer de nouveaux savoirs à travers des pratiques sociologiques, matérielles et performatives. Ma propre démarche repose sur la recherche (documentation), processus intellectuel conduisant à l’analyse et à la réflexion ; s’y ajoute, de façon organique, la création littéraire, qui engage un travail sur la langue. Les mots et les images, le rythme et la musicalité d’un texte, de même que la structure d’une phrase, sont des aspects déterminants de mon travail.
Q: Vous avez récemment travaillé sur la traduction de “Diving Into the Wreck: Poems 1971-1972” d’Adrienne Rich, lauréat du National Poetry Book award en 1973. Comment s’est déroulé le processus de cette traduction ?
CR: Il y a plusieurs années, j’ai fait des recherches dans les archives Adrienne Rich à la magnifique Bibliothèque Schlesinger de Harvard. J’ai alors découvert une œuvre magistrale, encore méconnue en français. J’ai aussi trouvé le recueil Diving into the Wreck (1973) dans une librairie d’occasion à Cambridge, et cette lecture m’a bouleversée grâce à la voix puissante de son autrice, à la richesse de son style et à la diversité de tons qu’elle emploie. J’ai vraiment découvert une grande poète américaine de l’après-guerre avec ce recueil qui, par ses revendications sociales et personnelles, est d’une actualité percutante aujourd’hui. Alors, j’ai eu envie de le traduire et j’en ai discuté avec Nicole Brossard (Doctorat honorifique de McGill, 2021), car je voyais une parenté littéraire entre son œuvre et celle de Rich. Le processus de traduction lui-même s’est déroulé en plusieurs étapes, jusqu’au travail d’édition en 2024.
Q: Votre prochain livre de poésie, “Sans toi, jusqu’à la cime des arbres”, paraîtra en France en 2024-2025. Quels thèmes comptez-vous explorer dans cette œuvre ?
CR: Ce petit livre est un résultat de ma résidence d’écriture à Reykjavik, Ville de littérature de l’UNESCO (2019). Mon titre de travail original, Treelessness, renvoie à l’absence : celle des arbres certes, mais aussi celle d’un amour qui est évoqué à travers un parcours poétique et géographique en Islande. Il faut souligner que l’Islande abrite de très nombreux paysages sans arbres, tous magnifiques et époustouflants ! Le désir amoureux, le longing et la solitude, de même que le rapport au territoire, sont les thèmes principaux de ce recueil. Quand j’ai inauguré cette résidence d’écriture, Anne Carson y avait logé peu de temps avant moi et son long poème The Glass Essay (1995) a laissé son empreinte dans mon imaginaire, surtout dans la manière dont une femme compose avec l’absence en parcourant le territoire.
Q: En mai, vous dirigerez une retraite d’été en création littéraire pour des étudiants des 2e et 3e cycles. Pourquoi le mentorat est-il un élément important d’une résidence et quels conseils donneriez-vous aux jeunes écrivains/écrivaines ?
CR: Le mentorat est un aspect décisif de la Retraite d’été en création littéraire. Mon rôle s’apparente à celui d’un chef d’orchestre qui impulse aux musiciens la manière dont se déroulera leur interprétation, c’est-à-dire leur travail littéraire et les échanges qui s’ensuivent. Pour les participant.e.s, ce sera une occasion privilégiée de développer un projet, d’en discuter avec leurs collègues et de recevoir des commentaires qui leur permettront de réfléchir et de progresser. Les conseils que je donnerais aux jeunes écrivain.e.s ? Engagez-vous dans votre travail au maximum. Lisez, écrivez et persévérez. Et méfiez-vous des modes.
Q: En tant que poète, comment allez-vous marquer le Mois national de la poésie durant votre séjour à McGill ?
CR: C’est surtout durant la Retraite d’été en création littéraire que nous célèbrerons -- a posteriori — le Mois national de la poésie à McGill. Dans le cadre des séances avec les étudiants, nous lirons certains textes qui serviront d’exemple ou de modèle pour écrire. À titre de références, je pense, entre autres, aux textes d’Anne Carson, de Louise Glück, de Marie-Claire Blais, de Paul Celan et de Philippe Jaccottet. La poésie est souvent considérée un genre plus difficile ou moins accessible. J’aimerais montrer qu’elle ouvre un éventail de possibilités sur le plan de l’écriture, tout en ouvrant des pistes de réflexion multiples et diversifiées.
Enfin, comme certains participants s’intéressent à la traduction littéraire, nous nous interrogerons également sur le(s) pouvoir(s) de la traduction : comment traduire certaines images ou expressions dans une autre langue ? Comment trouver un équivalent ? Doit-on respecter davantage le sens ou la forme du texte original ? Quel peut être l’apport de la traduction dans un processus de création ? Ces questions fécondes relancent les écrivains dans leur propre rapport à l’écriture, qu’ils soient traducteurs ou non.
English translation:
For many up-and-coming writers, it is a dream to be able to benefit from the knowledge and experience of a well-known author.
Over the next few months, students in the Département des littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC) will have the great privilege of being mentored by Chantal Ringuet, an award-winning author, poet and literary translator specialized in research-creation. In addition to the numerous books of poetry, cultural and historical essays and translations she has produced, Chantal is dedicated to encouraging others through teaching and creative workshops.
We spoke to Chantal about her various responsibilities as the DLTC’s writer in residence, her literary works and the importance of mentoring in creative activities.
Q: Describe your role as writer in residence at the Département des littératures de langue française, de traduction et de création. How will you be working with the students interested in creation?
CR: I’ve had the pleasure of being the writer in residence at the DLTC since January. My role includes giving master classes on literary subjects (poetry, prose, translation), engaging with students, taking part in the ADELFIES student colloquium and overseeing the DLTC summer literary retreat. This year’s summer retreat (May 6 to June 7) will be a wonderful opportunity to discuss the students’ current projects with them. I aim to nurture their progress by creating a space of openness and dialogue where they can present their own texts, but also read and comment on their peers’ texts. I will also offer my advice. As the relationship between literary creation and translation is at the heart of my approach, I’d like them to explore how these two practices are intrinsically linked. WeҴýappl also go on one or two outings (to a museum, for example) to draw inspiration for our writing. Furthermore, I will talk to them about various aspects associated with being a professional writer, such as the research and documentary work that can go into a creative project, choosing a publisher, applying for grants, the socio-economic reality of writers in Quebec and Canada, and so on.
Q: For over a decade, you’ve been focused on research-creation. What is “research-creation” and what attracted you to this field?
CR: Research-creation can be defined in a variety of different ways, and there are just as many ways to approach it. In the context of university research, research-creation is often defined by a blurring between two poles that meet different requirements. In a nutshell, it’s a means of linking the creation of art with pure and interpretive sciences in order to generate new knowledge through sociological, material and performative practices. My own method is based on documentary research, an intellectual process requiring analysis and reflection; this leads organically to literary creation, which involves working on the language. Words and images, the rhythm and musicality of a text, and even sentence structure, are all crucial aspects of my work.
Q: You recently worked on the translation of Diving into the Wreck: Poems 1971–1972 by Adrienne Rich, winner of the National Poetry Book Award in 1973. How did this come about?
CR: Several years ago, I was looking into Adrienne Rich’s archives at Harvard’s magnificent Schlesinger Library and I discovered an important body of work that was essentially unknown in French. I also found a copy of the anthology Diving into the Wreck (1973) in a second-hand bookshop in Cambridge, and I was blown away by the author’s powerful voice, the richness of her style and the diversity of the tones she used. I had really discovered a great post-War American poet and felt that, with its social and personal themes, the anthology was strikingly relevant in today’s world. So, with the idea of translating it in mind, I talked about it with Nicole Brossard (Honorary Doctorate, McGill, 2021), as I saw a literary kinship between her work and Rich’s. The translation process itself took place in several stages, up to the editing stage in 2024.
Q: Your next book of poetry, Sans toi, jusqu’à la cime des arbres, will come out in France in 2024–2025. What themes do you explore in this work?
CR: This little book is the result of my writer’s residency in Reykjavik, UNESCO City of Literature (2019). My original title—Treelessness—refers to absence; not only of trees, but also of a love that is evoked by a poetic and geographical journey through Iceland. I must point out that Iceland is home to many treeless landscapes, all of which are magnificent and breathtaking! Desire, longing and solitude, along with the relationship with the land, are the principal themes of this anthology. When I began this writer’s residency, Anne Carson had been living there shortly before me; her long poem “The Glass Essay” (1995) had left its mark on my imagination, particularly the way in which a woman deals with absence while travelling through the landscape.
Q: In May, youҴýappl be leading a summer literary retreat for graduate and postgraduate students. Why is mentoring an important part of a residency and what advice will you be giving to these young writers?
CR: Mentoring is a key aspect of the summer literary retreat. My role is similar to an orchestra conductor who drives the musicians’ performance—or in this case, the students’ literary work and the discussions that follow. For the participants, this will be a unique opportunity to develop a project, discuss it with their peers and receive feedback that makes them think and helps them to progress. What advice would I give to young writers? Completely throw yourself into your work. Read, write and persevere. And beware of fashions.
Q: As a poet, how will you be marking National Poetry Month during your McGill residency?
CR: It will mainly be during the summer literary retreat that we will be celebrating—retrospectively—National Poetry Month at McGill. During the sessions with the students, weҴýappl be reading certain texts that they can use as examples or models for their own writing. For reference, I’m thinking of works by Anne Carson, Louise Glück, Marie-Claire Blais, Paul Celan and Philippe Jaccottet, among others. Poetry is often thought of as a genre that is more difficult or less accessible; I’d like to show that it opens up a whole range of possibilities in terms of writing, offering multiple and diverse avenues to explore.
Finally, as some participants will be interested in literary translation, weҴýappl also examine the power(s) of translation: how do you translate certain images or expressions into another language? How do you find an equivalent? Is it more important to reflect the meaning or the form of the original text? What can translation contribute to the creative process? These questions should make the writers think about their own relationship to writing, whether they are translators or not.