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L’homme aux perles : un entretien avec Salah Bachir

Salah Bachir est un entrepreneur, un activiste, un philanthrope et le fils queer d’immigrants libanais. Dans le monde plus grand que nature de Salah Bachir, rien n’est statique; quand il voit quelque chose à changer, il agit. .Ìý

Jusqu’à l’an dernier, Salah dirigeait Cineplex Media, une entreprise née de son expérience de journaliste étudiant et de son travail au magasin de vidéo de son frère. Il n’y a pas une célébrité que Salah n’a pas rencontrée, et plusieurs d’entre elles sont des amies. Quand Salah demande « Est-ce que je t’ai déjà raconté l’histoire de Douglas Fairbanks et moi…? », il ne bluffe pas. Mais Salah est aussi timide qu’extravagant, et c’est le mélange de ces caractéristiques qui le rend profondément attachant. Il raconte ces histoires et bien d’autres (Ella Fitzgerald qui lui prépare des œufs brouillés…) dans ses mémoires, qui seront publiées bientôt sous le titre « First to Leave the Party ».
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Il y a deux ans, Salah a reçu une greffe de rein et il a frôlé la mort. Plus récemment, il a perdu sa mère et sa sœur. Lorsque sa mère était en fin de vie, une équipe de soins palliatifs s’est occupée d’elle à la maison. Je voulais l’interroger sur ce qu’il a vécu et avoir son point de vue sur la mort et la fin de la vie, mais c’est finalement une conversation sur la vie et le vivant que nous avons eue.

Elle Flanders (EF) : Vous avez croisé le chemin de tout le monde de Jessye Norman à Norman Jewison, en passant par Ginger Rogers et Roger Rabbit! J’ai hâte de lire votre livre, car votre vie illustre bien comment VIVRE SA VIE! Pouvez-vous nous parler un peu de votre passé?

Salah Bachir [SB] : Nous sommes arrivés au Canada en 1965. Quand nous avons quitté le Liban, tout notre village nous a accompagnés à l’aéroport. Nous avons vécu à Rexdale, un quartier ouvrier, entièrement composé d’immigrants; c’était tout le monde ensemble, comme au Liban où on ne rend jamais une assiette vide.

[EF] : Vous êtes aussi un activiste depuis de nombreuses années. Pendant la crise du sida, vous avez changé la façon dont les hétéros se rapportaient au monde homosexuel, et vous poursuivez votre travail avec la communauté LGBTQ aujourd’hui. Vous avez été le arborant la tenue arabe complète : keffieh, thobe et, évidemment, des perles!Ìý

Pouvez-vous nous dire comment vous avez commencé?

[SB] : À 15 ans, j’ai participé à ma première grande manifestation pour les ouvriers agricoles devant une épicerie Dominion. J’ai ramassé 150 $ et j’ai rencontré Cesar Chavez. J’étais gêné de ne pas avoir ramassé plus. Il a dit quelque chose qui a défini tous mes efforts de collecte de fonds par la suite : « C’est 150 $ de plus que ce que nous avions ce matin. Et cela permettra de prendre soin de deux familles pendant deux semaines! » À l’Université de Waterloo, j’ai participé à la plus longue grève de son histoire. Pendant que j’occupais le journal étudiant, j’ai développé des aptitudes journalistiques et j’ai vendu toutes les publicités. Parce que j’ai appris à connaître la communauté. Vous savez, vous allez dans le quartier et vous faites connaissance avec le gars qui possède le magasin de systèmes stéréo, ou avec le mécanicien – ce sont des personnes. Il y a une vieille phrase marxiste qui dit que « les relations sont du capital ». C’est ce petit village du Liban où tout le monde est un parent ou un ami. Les personnes et les relations sont la clé de l’activisme, de la collecte de fonds et de la vie.

[EF] : Parlons maintenant de votre parcours à travers la maladie et des expériences de soins palliatifs de votre mère, car il s’agit aussi de vie.

Salah Bachir [SB] : Quand on est homosexuel et qu’on survit à la crise du sida, on pense toujours à la mort. Je suis séropositif. Heureusement, j’ai pu vivre avec, mais j’ai vu trop d’amis qui ne s’en sont pas sortis. Avant ma greffe de rein, j’ai passé sept ans en dialyse. Mon mari Jacob était mon infirmier. À l’époque, l’infirmière de St Joe, notre hôpital local, ne reconnaissait pas Jacob comme mon mari, et quand j’avais besoin de certains médicaments, l’infirmière ne les donnait pas à Jacob. Après un incident, nous avons pensé les poursuivre en justice! Et puis non, j’ai réalisé qu’ils avaient plutôt besoin d’aide. Nous avons donc poussé pour un programme éducatif : la personne que je décide de prendre en charge doit être écoutée, qu’elle soit homo ou hétéro. Ils ont donc mis en place certains aspects de cette idée et nous avons commencé à recueillir des fonds pour construire deux , car l’ancienne était si sombre que les gens en parlaient comme d’un mouroir.

Nous avons installé des lumières de Noël, et maintenant l’hôpital illumine tout le quartier!

Quand un rein a enfin été disponible pour moi, on m’a dit que je serais alité pendant cinq ou six jours, puis que je rentrerais à la maison. Mais j’ai développé une septicémie et on m’a ramené d’urgence en salle d’opération. J’en suis ressorti avec une poche d’iléostomie et des tas de tubes qui sortaient de moi, et j’ai eu des hallucinations à cause des médicaments. Pendant la réadaptation, j’ai eu de la fièvre et on m’a renvoyé d’urgence à l’hôpital – on n’était pas sûr que j’allais m’en sortir. À un moment donné, mes soignants ont même jeté mon dentier. J’avais perdu mes dents au cours de toutes ces années où j’ai joué au hockey et à la crosse. Et je ne pouvais pas avoir un nouveau dentier à cause de tous les médicaments antirejet, alors je me suis présenté sans dentier pour recevoir l’.Ìý

Mais personne ne savait que j’avais un dentier, alors à ce stade, la vanité ne me posait pas problème! J’ai réalisé que je pouvais mettre tous ces colliers de diamants, et que personne ne remarquerait le reste! Ce fut toute une aventure. En réadaptation, je m’ennuyais. Je ne connaissais ni Instagram ni Facebook, mais j’ai commencé à publier des trucs, à raconter des histoires. C’est à partir de ces messages que l’idée d’un livre est née.

EF : Vos messages sont fantastiques. Je me souviens qu’en les lisant la première fois, j’ai eu l’impression que vous refaisiez votre entrée dans le monde après votre greffe. Mais aviez-vous pensé à ce qui se passerait si ça ne fonctionnait pas? Aviez-vous pris des dispositions en vue de votre mort?

SB : Jacob ne voulait pas imaginer cette possibilité. J’ai nommé un exécuteur testamentaire et j’ai été clair. Je savais que je ne voulais pas mourir, mais je savais aussi que si je mourais, j’avais pris soin de tout. Mais ensuite, j’ai pensé, qui s’occuperait de ma mère? Qui s’occuperait de Jacob? Et nous avons un neveu autiste.

EF : Les gens ne s’expriment pas beaucoup sur cette partie de leur parcours. Je pense que nous avons peur de parler de la mort et de nos craintes face à la mort.

SB : Quand ma mère a subi un AVC, on l’a ramenée à la maison. On a fait appel au .Ìý Je le connaissais parce que j’avais travaillé avec la journaliste et activiste June Callwood qui l’a défendu. Elle a participé à la création de (le premier centre de traitement autonome pour personnes atteintes du VIH/sida au Canada, et le premier hospice autonome en Ontario).

Après l’AVC de ma mère, nous pensions qu’elle n’en avait que pour une semaine, mais elle a vécu encore un an. Nous avons bénéficié d’excellents soins à la maison. Nous avons utilisé les soins palliatifs de St Joseph et Dorothy Ley; un médecin en soins palliatifs venait une fois par semaine et une infirmière plusieurs fois par semaine. Être à la maison l’a énormément aidée. Jacob, qui est un artiste, a réalisé pour ma mère toute une série de dessins à partir des tulipes de notre jardin, intitulée « Flowers for Najla ». Après sa mort, nous avons fait don de ces dessins et de beaucoup d’autres œuvres à des hôpitaux. Quelque chose de paisible dans lequel on peut se perdre.

EF : Vous avez vécu beaucoup de pertes récemment, mais votre joie de vivre est contagieuse. Il semble que même lorsque l’on fait face à la fin de vie et à la mort, la vie devrait toujours nous accompagner. J’ai hâte de lire votre livre.

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