Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Yann Joly, professeur James McGill au département de génétique humaine et membre du comité des partenariats et de l’engagement communautaire de l’initiative D2R[1] pour discuter de son article intitulé A proposal for an inclusive working definition of genetic discrimination to promote a more coherent debate publié récemment dans Nature Genetics. En plus de nous faire part de ce qu’il pense de la définition proposée de la discrimination génétique et de son impact sur les soins de santé, il formule des recommandations pour sa prise en compte dans la recherche, plus précisément dans le contexte de l’initiative D2R.
Quelles sont certaines des principales observations sur la discrimination génétique que présente votre article?
La discrimination génétique (DG) est un enjeu majeur de la recherche génétique et de la mise en œuvre clinique, car il est le plus susceptible d’être soulevé par les patients ou les participants à la recherche.
Il est très difficile d’évaluer la fréquence de la DG à grande échelle. Le milieu de la recherche a bien tenté d’étudier le sujet de manière empirique, mais en l’absence d’une définition commune, aucune comparaison des études ou des résultats agrégés n’était possible. De plus, les responsables des politiques de partout dans le monde ont également utilisé des définitions différentes, certaines étant plus inclusives que d’autres. Ces incohérences se sont donc traduites par une protection plus ou moins bonne contre la DG pour les personnes participant à la recherche internationale.
Dans cette optique, j’ai réuni des parties prenantes et des spécialistes de l’Observatoire de la discrimination génétique (ODG) et de la Global Alliance for Genomics and Health (GA4GH) pour étudier les différentes facettes de la DG afin de proposer une définition consensuelle qui pourrait servir de base à d’autres travaux universitaires et initiatives de prévention d’une telle discrimination.
Voici la définition qui a été proposée : « La discrimination génétique consiste à traiter différemment ou à profiler négativement ou injustement un individu par rapport au reste de la population sur la base de données génomiques réelles ou présumées. »
Qu’est-ce qui vous a motivé à explorer les définitions de la discrimination génétique?
La génétique et les autres sciences omiques ont le potentiel d’améliorer les soins de santé et déjà , pour un nombre restreint, mais croissant de maladies et de patients, grâce à la prévention ou aux soins personnalisés, elles offrent l’espérance d’une vie en bonne santé. La perspective d’empêcher certaines personnes de profiter de ces développements scientifiques en raison de préoccupations entourant la DG est à mon avis moralement inacceptable. C’est pourquoi depuis 25 ans je travaille constamment sur des projets et des initiatives dont la priorité est la recherche, l’éducation et la prévention dans le domaine.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples qui illustrent l’impact multidimensionnel de la discrimination génétique?
Au Canada, il a été démontré que dans le contexte du cancer du sein héréditaire et de la maladie de Huntington, les personnes ayant obtenu un test génétique positif pour la mutation avaient été victimes de discrimination par les sociétés d’assurance vie (p. ex., impossibilité de souscrire une police d’assurance vie). Dans un tout autre contexte, une personne a signalé à l’ODG avoir été victime de discrimination par son nouveau médecin de famille qui exigeait qu’elle signe une entente de respect de la posologie prescrite par un test pharmacogénétique (PGx)[2] avant qu’il n’accepte de la prendre comme patiente.
Dans quelle mesure la discrimination génétique influe-t-elle sur l’accès aux soins de santé et le développement thérapeutique pour les groupes qui méritent l’équité?
La DG est étroitement liée à la stigmatisation et aux pratiques eugéniques responsables en partie de la méfiance de ces groupes à l’égard de la génétique. Elle est également intersectionnelle, car les personnes faisant l’objet d’une discrimination en raison de leur profil génétique sont plus susceptibles d’avoir déjà subi de la discrimination et de la stigmatisation en raison d’autres motifs proscrits (p. ex., race, état de santé, etc.). Par conséquent, il est important de régler les préoccupations entourant la DG à la satisfaction de toutes les parties prenantes avant que ces groupes participent à la recherche génétique.
Pourquoi est-il important de tenir compte de la discrimination génétique dans les recherches menées dans le cadre de l’initiative D2R?
Le gouvernement du Canada a adopté la Loi sur la non-discrimination génétique visant à protéger les Canadiens et Canadiennes contre la discrimination génétique. Toutefois, de récents travaux menés par notre et de l’Université de Toronto ont démontré que la protection contre la DG conférée par cette Loi est limitée. À mesure que la science et la société évoluent, il y a aussi fort à parier qu’un nombre croissant de cas de DG révéleront les failles de la Loi. Par conséquent, il faut poursuivre les travaux et élaborer d’autres politiques qui tiendront mieux compte de cette évolution. Il est très important, dans le contexte d’initiatives génomiques d’envergure comme D2R, d’agir de manière proactive pour nous éviter que des personnes participant à la recherche ou des membres du milieu soient victimes de discrimination en raison de leur participation à l’initiative D2R.
Comment votre définition proposée de la discrimination génétique peut-elle orienter les discussions scientifiques et politiques, en particulier pour les chercheuses et chercheurs de l’initiative D2R?
Cette définition place les gens et les scientifiques sur un pied d’égalité quand il s’agit de parler de cet enjeu ou de mener des recherches dans le domaine. Par exemple, le fait de définir la discrimination génétique comme « une personne qui est traitée négativement par les sociétés d’assurance vie par rapport au reste de la population sur la base de résultats de tests génétiques prédictifs » restreint énormément le contexte des cas de DG, c’est-à -dire seulement les résultats de tests génétiques prédictifs, seulement pour l’assurance vie. Grâce à l’initiative D2R, il sera possible de valider l’absence de discrimination génétique en appliquant une méthodologie plus cohérente et simplifiée. La définition proposée sera aussi utile pour faciliter les activités de mobilisation et de communication scientifique sur les aspects éthiques, sociaux et politiques de la recherche D2R.
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Pour en savoir plus sur les récents travaux de Yann Joly sur la discrimination génétique, nous vous invitons à lire l’article publié le 24 juin 2024 dans Nature Genetics.
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[1] Ce comité joue un rôle clé dans la supervision des politiques et des processus de D2R pour s’assurer que l’indigénéité, l’équité, la diversité et l’inclusion sont au cœur de la prise de décisions.
[2] Les tests PGx nous indiquent l’impact de facteurs génétiques sur la capacité d’une personne à métaboliser les médicaments et sa réponse à ceux-ci.