L’arbitrage, idéal type de la justice privée, occupe aujourd’hui une place importante et toujours grandissante par rapport à la justice dispensée par les États. Les États prêtent leur concours à l’arbitrage en assurant notamment l’exécution forcée des sentences arbitrales. Ce concours implique le plus souvent un contrôle judiciaire de l’arbitrage dont les critères marquent en pratique les balises du champ où la justice publique peut continuer de se déployer sans concurrence. Ces critères sont ainsi devenus le reflet du domaine irréductible que se réserve l’État dans les sociétés juridiquement pluralisées et l’univers normatif mondialisé.
Or, les critères du contrôle judiciaire de l’arbitrage sont en pleine construction et en mal de conceptualisation, comme l’est par ailleurs le rapport entre le droit non-étatique développé ou déployé dans l’arbitrage et sa reconnaissance par le droit et les institutions de l’État. Nous constatons en effet le développement et la cristallisation autour des procédures arbitrales d’une normativité processuelle et matérielle détachée du droit étatique. Pourtant, le rapport de cette normativité au droit national et international reste largement à définir. En posant la question du contrôle de l’arbitrage et du statut du droit non-étatique que cette justice privée met de plus en plus souvent en œuvre, le programme permet d’appréhender les raisons d’être de la justice étatique dans ses aspects processuels et matériels, qui représentent les pôles de la tension fondamentale définissant l’État de droit. À partir de là , il devient possible d’explorer le potentiel et les limites d’un État de droit au-delà de l’État.
La problématique générale met la renaissance de la justice privée en face de l’État, de son droit et de la notion d’État de droit. La méthodologie sera essentiellement qualitative, s’inscrivant dans une tradition de recherche juridique critique bien établie. Elle n’exclue pas toutefois certaines composantes empiriques. Les quatre axes de recherche sont désormais les suivants; cliquez sur chacune des thématiques pour les consulter.
Axe A: Droit transnational, droit étatique et droit international
La recherche inscrite dans cet axe explore sous différents angles la question des sources et des formes du droit transnational et des figures possibles d’interface entre ce droit, le droit international et celui de l’État. En tant que droit émergeant en marge de systèmes juridiques bien établis, c’est-à -dire le droit international et le droit étatique, le droit transnational déployé dans l’arbitrage international tend à se définir en fonction de ces systèmes.
En ce qui concerne l’interface entre le droit transnational et les droits mieux établis, l’appareillage conceptuel du triptyque droit étatique / droit international public / droit international privé est manifestement à revoir. L’apparition d’une normativité transnationale pose directement la question de l’empire du droit international, et de sa vocation, jadis affirmée, de régir certains rapports privés. Le droit international privé est-il appelé à redevenir le droit véritablement international qu’il fut à ses origines? Le droit transnational matériel est-il appelé à devenir un droit privé international? Qu’en est-il du droit transnational processuel développé dans l’arbitrage? La jurisprudence arbitrale peut-elle générer un droit identifiable par les tribunaux étatiques et intelligibles à eux?
Pour ce qui est des modes de production normative, la question du précédent se pose avec une urgence toute particulière. La jurisprudence a toujours été difficile à cadrer dans l’appareil conceptuel du droit international. Or la production du droit de l’investissement par la jurisprudence arbitrale est maintenant indéniable. Cette production normative peut-elle trouver son fondement dans une règle coutumière secondaire (concernant non pas des obligations matérielles mais plutôt la production et la reconnaissance de telles obligations)? Quelle est la justification de cette façon de faire dans la raison juridique et dans la raison pratique? L’intérêt de ce questionnement, loin d’être limité au développement des règles matérielles, s’étend à l’apport du précédent au développement et à la transnationalisation de la procédure.
Axe B: Arbitrabilité, ordre public et État de droit
Les rapports entre les critères de contrôle judiciaire que sont l’ordre public et l’arbitrabilité, d’une part, et les impératifs de l’État de droit d’autre part, sont au cœur des préoccupations de la recherche menée sous cet axe.
D’un côté, on constate que plusieurs ressorts reconnaissent désormais à l’arbitre le pouvoir d’appliquer des règles d’ordre public, de même qu’un «droit à l’erreur» dans leur application, dans la mesure où la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence erronée ne heurte pas l’ordre public. L’ordre public renvoie ainsi à un contrôle ad hoc du dispositif ou de l’impact d’une décision arbitrale alors que l’arbitrabilité circonscrit le principe de la liberté des parties de retirer à la juridiction étatique une matière ou une question au profit de la juridiction arbitrale. La possibilité pratique d’un tel aménagement du contrôle de l’ordre public reste à démontrer, mais il est certain qu’il réduit l’intensité de la surveillance de l’arbitrage par l’État et augmente d’autant le rôle du concept d’arbitrabilité dans la définition des rapports entre l’arbitrage et la justice publique.
Or, nous constatons que les limites classiques de l’arbitrage et donc du domaine de l’arbitrabilité continuent d’être repoussées. Ainsi avons-nous été témoins de ce phénomène dans des domaines tels que les relations de travail, les questions de fraude et de corruption, la faillite, la fiscalité, la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence, les valeurs mobilières et plus généralement le droit de la consommation. Des pans entiers de la réglementation des matières familiales devraient, selon certains auteurs, tomber dans le champ arbitrable. Ces avancées de l’arbitrage sont difficiles à appréhender dans un contexte où la définition même de l’arbitrabilité ne dit rien de son domaine, où les raisons de l’inarbitrabilité ne sont jamais formulées de manière satisfaisante et où la réflexion sur les objectifs poursuivis et atteints par l’arbitrage se limite souvent à un discours rhétorique sur l’importance de la liberté contractuelle dans une économie de marché.
Axe C: Compétence, pouvoir arbitral et consentement
Les activités de recherche déployées sous cet axe s’attaquent de front à la définition de la compétence arbitrale dans la perspective de son contrôle par le juge étatique. La question du contrôle judiciaire de la compétence arbitrale est complexe et demeure controversée. S’il existe un consensus reconnaissant au tribunal arbitral le pouvoir de statuer sur sa propre compétence, des divergences persistent relativement à la plupart des questions touchant à la répartition des rôles et des responsabilités à cet égard entre juges et arbitres. Ces divergences résultent parfois de la définition que l’on donne à la notion de compétence (souvent comprise comme recouvrant celles d’investiture, de mission ou de pouvoirs), qui peut difficilement s’analyser sans référence au consentement – très souvent présumé – des parties.
Concernant le contrôle judiciaire de la décision du tribunal arbitral sur sa propre compétence, deux hypothèses font actuellement l’objet d’une controverse. La première concerne les décisions arbitrales dans lesquelles une objection à la compétence arbitrale est accueillie, qui sont jugées finales dans certains pays mais assujetties au contrôle judiciaire dans d’autres pays. La seconde concerne la possibilité qu’une convention d’arbitrage conférant au tribunal arbitral le pouvoir de statuer sur sa propre compétence ait pour effet de déléguer à celui-ci le pouvoir de rendre des décisions en matière de compétence tout aussi finales que les sentences rendues sur le fond.
Cette thèse, retenue dans la jurisprudence américaine mais rejetée dans la plupart des autres pays, soulève d’épineuses questions concernant l’intention présumée des parties ainsi qu’au fondement du principe compétence-compétence. Se pose ensuite la question de savoir si le pouvoir reconnu aux arbitres de statuer sur leur propre compétence est aussi un pouvoir de statuer de manière prioritaire. Le principe compétence-compétence aurait ainsi un effet dit négatif, empêchant normalement le contrôle judiciaire jusqu’à ce que l’arbitre ne se soit prononcé. Cette thèse de l’effet négatif du principe est-elle adaptée aux ressorts où les tribunaux judiciaires sont susceptibles de trancher de manière efficace, en amont, les objections à la compétence arbitrale? Enfin, dans les hypothèses où le contrôle est admis, en amont et en aval, la question des critères ou de l’intensité du contrôle de la compétence arbitrale fait l’objet d’importantes divergences en droit comparé.
Axe D: Justice privée, technologies et droits
Le dernier axe de la programmation étudie le potentiel de l’arbitrage en ligne en termes d’accès à la justice, particulièrement la justice transfrontalière. L’arbitrage tire parti de la liberté des conventions, du caractère exécutoire des sentences arbitrales et des avancées dans les technologies de la communication pour améliorer l’accès à la justice, mais ceci ne va pas sans une remise en question des contraintes, notamment processuelles, de la justice arbitrale, dont la formulation est en construction au titre de droit transnational.
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