Effacement des souvenirs douloureux : on se rapproche du but
Les scientifiques savent depuis un moment déjà que les souvenirs s’impriment dans le cerveau grâce à la variation de la force de certaines synapses, ces régions de contact entre deux neurones dans lesquelles passe l’influx nerveux. On ignorait toutefois comment se maintenait ce renforcement de la liaison synaptique. En perçant ce mystère, on pourrait agir sur certains troubles neurologiques et psychologiques.
Or, grâce à une étude réalisée par des chercheurs du Centre médical de l’Université Columbia en collaboration avec des chercheurs de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill (le Neuro), nous comprenons mieux aujourd’hui comment les souvenirs se fixent dans la mémoire. Cette découverte pourrait conduire à la mise au point de traitements qui soulageront les troubles anxieux et l’état de stress post-traumatique (ESPT) en effaçant de la mémoire les souvenirs pathologiques.
En 2006, le Dr Todd Sacktor, neuroscientifique, et ses collègues du Centre médical Downstate ont réussi à effacer des souvenirs chez la souris en inhibant une enzyme clé, la PKMzeta. Des études ultérieures ont cependant révélé que les choses n’étaient pas si simples : des souris chez lesquelles on avait éliminé la PKMzeta par voie génétique pouvaient emmagasiner des souvenirs tout à fait normalement, puisque d’autres molécules venaient pallier cette lacune. Pour les scientifiques s’employant à élucider le mystère de la mémorisation, c’était là un écueil, certes, mais un écueil qui ouvrait de nouvelles perspectives. En effet, si la mémorisation repose sur plus d’une molécule, peut-être est-il possible d’agir sur des souvenirs bien définis en ciblant des molécules spécifiques?
Puis l’équipe du laboratoire de Wayne Sossin, Ph. D., au Neuro a constaté que la PKMzeta, mais également une famille de molécules apparentées, pouvaient fixer les souvenirs chez un mollusque appelé Aplysia californica, Ce mollusque est fort apprécié des chercheurs qui s’intéressent à des formes simples d’apprentissage et de mémorisation au niveau cellulaire et moléculaire, parce qu’il est doté de neurones de grande taille et d’un système nerveux simple, facile à manipuler. Les résultats obtenus chez Aplysia sont généralement observés aussi chez les vertébrés.
Au Centre médical de l’Université Columbia, Samuel Schacher, Ph. D., et Jiangyuan Hu, associé de recherche, ont découvert de leur côté qu’il était possible d’annuler le stockage cellulaire dans deux formes simples de mémoire (associative et non associative) chez Aplysia californica en procédant à diverses manipulations, ce qui semble indiquer que la fixation de chaque souvenir relève de molécules différentes. La mémoire associative est celle qui repose sur les liens que nous établissons entre des éléments sans rapport les uns avec les autres, par exemple la cloche qui annonce la récréation ou la fin des classes. La mémoire non associative est celle qui est responsable de la réaction généralisée à un stimulus évoquant une expérience antérieure, par exemple l’anxiété consécutive à un événement traumatisant.
Après ces études, les laboratoires Schacher et Sossin ont fait équipe pour déterminer si la fixation de souvenirs de nature différente pouvait relever de membres différents de la famille PKM. Les chercheurs ont stimulé deux neurones sensoriels d’Aplysia reliés par connexion synaptique à un seul et même neurone moteur : dans un cas, ils ont stimulé la mémoire associative et dans l’autre, la mémoire non associative. Ils ont constaté qu’en ciblant des variants PKM spécifiques dans le neurone moteur, ils pouvaient effacer séparément les souvenirs de la mémoire associative et ceux de la mémoire non associative, puisque les variants assurant le renforcement de la synapse de chacun des neurones sensoriels sont différents. Qui plus est, ils ont découvert qu’il était possible d’effacer des souvenirs bien définis en ciblant des variants d’autres molécules qui mettent certaines enzymes PKM à l’abri de la dégradation ou, au contraire, participent à la formation de certaines enzymes PKM.
Les résultats des travaux de ces deux équipes sont exposés dans un article publié le 22 juin 2017 dans . Ils démontrent que différentes formes de mémoire cohabitent au sein du même neurone et que chacune peut être manipulée séparément. On y trouve des éléments nouveaux sur la fabrication des souvenirs et l’élimination sélective de ces derniers, laquelle pourrait un jour permettre de traiter des maladies tels les troubles anxieux et l’ESPT. En effet, on pourrait potentiellement soulager ces maux en effaçant les souvenirs de la mémoire non associative à l’origine de la réaction physiologique inadaptée. On pourrait dès lors envisager la mise au point de médicaments qui, en ciblant spécifiquement les molécules qui fixent les souvenirs de la mémoire non associative, soulagent l’anxiété sans altérer la mémoire normale des événements passés.
« Nos travaux démontrent qu’il existe divers mécanismes neuronaux de fixation des souvenirs dans le cerveau et en cela, ils sont porteurs d’espoir, puisqu’ils ouvrent la voie à l’élimination sélective des souvenirs pathologiques », affirme Wayne Sossin.
Cette étude a été financée par une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada octroyée à Wayne Sossin et une subvention des National Institutes of Health des États-Unis octroyée à Samuel Schacher.
L’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill
L’Institut et hôpital neurologiques de Montréal – le Neuro – est un établissement de calibre mondial voué à la recherche sur le cerveau et aux soins neurologiques de pointe. Depuis sa création, en 1934, par le célèbre neurochirurgien Wilder Penfield, le Neuro est devenu le plus grand établissement de recherche et de soins cliniques spécialisé en neurosciences au Canada, et l’un des plus importants sur la scène internationale. L’intégration harmonieuse de la recherche, des soins aux patients et de la formation par les plus grands spécialistes du monde contribue à positionner le Neuro comme un centre d’excellence unique pour l’avancement des connaissances sur les troubles du système nerveux et leur traitement. En 2016, le Neuro est devenu le premier institut au monde à adopter sans réserve le concept de la science ouverte en créant l’Institut de science ouverte Tanenbaum. Institut de recherche et d’enseignement de l’Université McGill, l’Institut neurologique de Montréal s’inscrit dans la mission en neurosciences du Centre universitaire de santé McGill.